Première lettre de Paul aux Thessaloniciens, les premiers versets.
- 1 Paul, Silvain et Timothée, à l’Église des Thessaloniciens qui est en Dieu, le Père, et dans le Seigneur Jésus-Christ : Grâce et paix à vous !
- 2 Nous rendons toujours grâce à Dieu pour vous tous, et nous faisons mention de vous dans nos prières. Continuellement,
- 3 nous nous souvenons de tout ce qui vous caractérise : l’œuvre de la foi, le travail de l’amour et la persévérance de l’espérance de notre Seigneur Jésus-Christ, devant notre Dieu et Père.
- 4 Nous savons, frères aimés de Dieu, que vous avez été choisis,
- 5 car notre bonne nouvelle ne vous est pas arrivée en parole seulement, mais aussi avec puissance, avec l’Esprit saint et avec une pleine conviction. De fait, vous savez comment nous avons été parmi vous, pour votre bien.
- 6 Et vous-mêmes, vous nous avez imités, nous et le Seigneur, en accueillant la Parole, au milieu de beaucoup de détresse, avec la joie de l’Esprit saint.
- 7 Ainsi vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants en Macédoine et en Achaïe.
- 8 Car la parole du Seigneur a retenti de chez vous, et pas seulement en Macédoine et en Achaïe : votre foi en Dieu s’est fait connaître en tout lieu, à tel point que nous n’avons pas besoin d’en dire quoi que ce soit.
« Grâce et paix »
C’est par ces mots que commencent le plus souvent nos cultes. Comme celui de ce soir ! C’est aussi le souhait premier de Paul aux Thessaloniciens. Car c’est ainsi que commencent, invariablement, toutes les épîtres de Paul. Seule celle aux Hébreux fait exception, tandis qu’à Timothée, l’auteur intercale entre la grâce et la paix, la miséricorde ! Paul et nos liturgies empruntent ce binôme, grâce et paix, à la bénédiction que l’on trouve au livre des Nombres (6, 22–26) :
- Que l’Éternel vous bénisse et qu’il vous garde.
- Que l’Éternel tourne vers vous son visage et vous fasse grâce
- Que l’Éternel fasse pour vous resplendir son regard et vous donne sa paix.
C’est la bénédiction sacerdotale, celle que seuls les prêtres d’Israël pouvaient dire. Et au jour de l’expiation, une seule fois l’an, le grand prêtre terminait cette bénédiction en prononçant le tétragramme. (Si. 50, 20). Car la bénédiction, si c’est la vocation de l’homme, je pense ici encore et toujours à l’appel adressé à Abraham : « va et sois bénédiction », c’est parce que c’est le nom même de Dieu.
La seule fois où le Grand prêtre pouvait prononcer le nom de Dieu, c’est en donnant la bénédiction ! Ce n’est pas pour rien que Calvin reprend cette bénédiction pour clore son culte, comme nous le lisons dans « la forme des Prières ecclésiastiques » de 1545. Quoi de plus approprié, pour ce premier dimanche de l’Avent, que de nous rappeler cela : la grâce et la paix. Alors je vous propose de nous arrêter un instant sur ces deux mots, avant d’en découvrir un troisième.
La grâce
Dans le premier Testament, la grâce n’est pas encore le salut, la résurrection, l’évangile : Grâce en hébreu se dit ranan, (חנן vient de חן) et ranan, c’est ce qui brille, ce qui nous réjouit ; c’est la grâce d’une femme, ce qui est gracieux ; mais c’est aussi la compassion, la miséricorde. C’est, je le crois, une manière d’être dans la douceur et la beauté !D’ailleurs, l’expression « faire briller sa face sur toi » est un hébraïsme qui veut dire : sourire ! Oui, que Dieu nous sourie et qu’il fasse naître en nous le sourire !
Avec Paul, la grâce se précise, c’est celle d’une parole reçue qui est « lumière sur nos routes, qui éclaire le sentier », comme le dit le Psalmiste… Parole qu’il a rencontrée, parole bouleversante, sur le chemin de Damas, dans la personne du Christ. Oui, la grâce d’une lumière offerte. Pour éclairer la nuit ! Comme le dit aussi Maurice Bellet : « [Alors] la grande affaire, l’unique affaire est que le chemin ne se perde pas dans la ténèbre, que se lève, au cœur même de la nuit, la lumière irrépressible que rien ne détruira. »[1] Ainsi, la grâce, comme des petits cailloux de lumière qu’un divin petit Poucet aurait semés sur nos routes… La grâce, « comme la rosée qui revivifie la fleur au matin »[2]. La grâce, donc, en ce premier dimanche de l’Avent ! Pour toi, pour moi, pour nous.
Et puis la paix !
La paix, c’est le shalom, et là le temps nous manque pour dire toute la richesse de ce mot qui dit non pas une absence de conflit mais la plénitude de l’être réconcilié. Mais allons pourtant un peu plus loin : nous confondons, en effet, souvent deux réalités qui se cachent derrière la notion de paix : la paix extérieure, en tant que cessation des hostilités, et puis la paix intérieure. Les deux nous sont à faire. Mais la première dépend de la seconde. Et la seconde ne dépend pas de nous. Il y a la paix que l’on reçoit, et puis celle que l’on bâtit.
La paix extérieure, la paix au sens grec (à construire), est donc l’opposé de la tranquillité, de la quiétude. Elle est un risque, un pari, c’est la paix des Béatitudes ; elle implique un renoncement, et une véritable lutte pour refuser le cercle infernal de la violence. Elle est le premier pas de la construction d’une fraternité universelle. Les grands apôtres de cette paix-là, de Jésus lui-même à Martin Luther King, en passant par Gandhi ou Bonhoeffer, l’ont payé de leur propre sang.
La paix intérieure, elle, relève de la grâce.
La paix est le fruit de la grâce. Elle est le don du sourire de Dieu entrevu l’espace d’un instant éternel.
Shalom vient de shalam : en hébreu (שלום), ce qui est achevé, terminé, accompli. C’est aussi ce qui est acquitté, rendu, payé. Et cette paix-là, j’insiste, ne dépend pas de nous, de nos efforts ou de nos renoncements. Elle se reçoit de Dieu. Mais si elle se reçoit, si elle est cadeau de Dieu,
pourtant elle doit aussi se cultiver. En français, paix vient de la racine indo-européenne : PAG, le pieu, ce qui s’enfonce, à partir duquel le mot paysan est construit : c’est la même racine.
La paix intérieure est aussi une lutte, un combat spirituel.
Oui, la paix, ça se cultive. Ça ne vient pas de soi. Ça se reçoit, mais ça se bêche, ça se sarcle, ça s’arrose, ça se taille. Et c’est aussi le travail de l’Église, et c’est le travail de chaque homme, de chaque femme, pour rester dans la bénédiction ! Cette paix est un don qui nous vient de Dieu. À nous de la vivre et de la faire vivre, en nous et entre nous. C’est le travail de la prière. Un travail dis-je, car la paix intérieure est, paradoxalement, aussi une lutte, un combat, mais un combat spirituel.
La paix est offerte, promise, comme un horizon possible, une terre promise. Elle est le don de la grâce. Mais elle implique le combat de la vigilance et de la persévérance. Et Paul de poursuivre : « Nous nous souvenons de tout ce qui vous caractérise : l’œuvre de la foi, le travail de l’amour et la persévérance de l’espérance de notre Seigneur Jésus-Christ, devant notre Dieu et Père. » Et voilà le troisième mot qui résonne pour nous ce soir :
La persévérance de l’espérance ou dans l’espérance
Un mot-clef : non pas tant “espérance”, ça, c’est le fruit de la grâce et de la paix, et donc, c’est “cadeau”, mais le petit mot de persévérance, lui, dépend de nous ! Car voilà notre tâche, notre première tâche, la plus indispensable peut-être : la persévérance. C’est-à-dire demeurer enraciné dans ce don de la grâce, et sans se lasser, jamais, se laisser labourer par ce cadeau de Dieu qu’est l’espérance.
Persévérer
Le pasteur et théologien Dietrich Bonhoeffer écrivait, depuis sa cellule, emprisonné par le pouvoir nazi : « Là où d’autres se résignent, [il] (le chrétien) a la force de garder la tête haute lorsque tout semble s’écrouler, de supporter les revers, de ne pas abandonner l’avenir à l’adversaire mais de le revendiquer pour soi.[3] »
Voilà la persévérance ; voilà notre unique tâche ; et plus le monde sera sombre, et plus la ténèbre semblera à nouveau triompher, et plus nous devrons persévérer dans ce cadeau de la grâce et de la paix qui a pour nom espérance. Attention, ici un piège nous guette : l’espérance n’est pas un mot à penser, ni à conjuguer au futur, mais au présent ! Car le cadeau est déjà offert, nous en sommes déjà, ici et maintenant, les dépositaires. Ce cadeau n’est pas pour demain, mais à vivre et à faire vivre dès aujourd’hui, avec persévérance !
Mais comment faire cela ? Comment vivre cela ?
Paul, nous le dit, chemin faisant : en accueillant la parole ! En nous mettant, toujours à nouveau, à l’écoute de cette parole. Encore et toujours, en restant enraciné dans cette parole qui résonne et nous façonne, qui nous fonde et nous féconde. Ma sœur, mon frère, laisse-la, cette parole de vie, faire en toi son œuvre, laisse le souffle de Dieu labourer tes fragilités et tes souffrances, tes doutes et tes errances. Laisse-lui juste un peu de place, prête-lui juste un peu l’oreille de ton cœur. Et tu verras…
Et cette parole qui a retenti il y a deux mille ans retentit toujours à nouveau, ici et maintenant, pour toi, pour moi, pour nous ! Et cela vient transformer mon regard sur le monde. Apaiser les peurs, calmer les rancœurs et les aigreurs, et nous retourner vers la vie et vers les autres, vers les autres qui sont la vie. Avec persévérance. L’Évangile de Luc met ces mots dans la bouche de l’Homme de Nazareth :
- 17 Vous serez détestés à cause de mon nom.
- 18 Mais pas un seul cheveu de votre tête ne sera perdu ;
- 19 par votre persévérance, vous vivrez ! (Luc 21, 19)
Littéralement, le grec donne : par votre persévérance, vous gagnerez, vous posséderez, vous aurez la vie. Vivre, c’est quoi, pour Luc ? Persévérer dans le don de la grâce. Ni plus, ni moins. Tu crois que tu n’en es pas capable ? Mais personne ne l’est, par lui-même. Mais enraciné dans la Parole, alors la lumière peut venir faire brèche jusque dans l’opacité la plus profonde, et tout est transfiguré. Maurice Bellet encore, pour finir : « Si Dieu est, il est en l’homme ce point de lumière qui précède toute raison et toute folie et que rien n’a puissance de détruire. Peut-être alors que croire en Dieu consiste en ceci : croire qu’en tout être humain existe ce point de lumière[4] » et que rien n’a puissance de détruire.
Y eut-il jamais meilleure nouvelle ?
[1] Maurice Bellet, in Dieu, personne de l’a jamais vu, 2008, Albin Michel, p. 72.
[2] Teilhard de Chardin, In Le matin vient, édition Oberlin, p. 95
[3] Dietrich Bonhoeffer, in Si je n’ai pas l’amour, p. 276.
[4] Maurice Bellet, in Dieu, personne de l’a jamais vu, 2008, Albin Michel, p. 95.