Pasteur Jean-François Breyne : la paix est un risque, la paix intérieure, une grâce

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Le Pasteur Jean-François Breyne, après avoir contri­bué au week-end théo­lo­gique a por­té cette médi­ta­tion ins­pi­rée pour le culte du 25 novembre 2021. Il reprend les simples salu­ta­tions de l’apôtre : « Grâce et paix » comme une invi­ta­tion à être dans la dou­ceur et la beauté.

Première lettre de Paul aux Thessaloniciens, les pre­miers versets.

  • 1 Paul, Silvain et Timothée, à l’Église des Thessaloniciens qui est en Dieu, le Père, et dans le Seigneur Jésus-Christ : Grâce et paix à vous !
  • 2 Nous ren­dons tou­jours grâce à Dieu pour vous tous, et nous fai­sons men­tion de vous dans nos prières. Continuellement,
  • 3 nous nous sou­ve­nons de tout ce qui vous carac­té­rise : l’œuvre de la foi, le tra­vail de l’a­mour et la per­sé­vé­rance de l’es­pé­rance de notre Seigneur Jésus-Christ, devant notre Dieu et Père.
  • 4 Nous savons, frères aimés de Dieu, que vous avez été choisis,
  • 5 car notre bonne nou­velle ne vous est pas arri­vée en parole seule­ment, mais aus­si avec puis­sance, avec l’Esprit saint et avec une pleine convic­tion. De fait, vous savez com­ment nous avons été par­mi vous, pour votre bien.
  • 6 Et vous-mêmes, vous nous avez imi­tés, nous et le Seigneur, en accueillant la Parole, au milieu de beau­coup de détresse, avec la joie de l’Esprit saint.
  • 7 Ainsi vous êtes deve­nus un modèle pour tous les croyants en Macédoine et en Achaïe.
  • 8 Car la parole du Seigneur a reten­ti de chez vous, et pas seule­ment en Macédoine et en Achaïe : votre foi en Dieu s’est fait connaître en tout lieu, à tel point que nous n’a­vons pas besoin d’en dire quoi que ce soit.

« Grâce et paix »

C’est par ces mots que com­mencent le plus sou­vent nos cultes. Comme celui de ce soir ! C’est aus­si le sou­hait pre­mier de Paul aux Thessaloniciens. Car c’est ain­si que com­mencent, inva­ria­ble­ment, toutes les épîtres de Paul. Seule celle aux Hébreux fait excep­tion, tan­dis qu’à Timothée, l’auteur inter­cale entre la grâce et la paix, la misé­ri­corde ! Paul et nos litur­gies empruntent ce binôme, grâce et paix, à la béné­dic­tion que l’on trouve au livre des Nombres (6, 22–26) :

  • Que l’Éternel vous bénisse et qu’il vous garde.
  • Que l’Éternel tourne vers vous son visage et vous fasse grâce
  • Que l’Éternel fasse pour vous res­plen­dir son regard et vous donne sa paix.
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La grâce est une parole reçue,« lumière sur nos routes, qui éclaire le sen­tier » Photo Christian Apothéloz

C’est la béné­dic­tion sacer­do­tale, celle que seuls les prêtres d’Israël pou­vaient dire. Et au jour de l’expiation, une seule fois l’an, le grand prêtre ter­mi­nait cette béné­dic­tion en pro­non­çant le tétra­gramme. (Si. 50, 20). Car la béné­dic­tion, si c’est la voca­tion de l’homme, je pense ici encore et tou­jours à l’appel adres­sé à Abraham : « va et sois béné­dic­tion », c’est parce que c’est le nom même de Dieu.

La seule fois où le Grand prêtre pou­vait pro­non­cer le nom de Dieu, c’est en don­nant la béné­dic­tion ! Ce n’est pas pour rien que Calvin reprend cette béné­dic­tion pour clore son culte, comme nous le lisons dans « la forme des Prières ecclé­sias­tiques » de 1545. Quoi de plus appro­prié, pour ce pre­mier dimanche de l’Avent, que de nous rap­pe­ler cela : la grâce et la paix. Alors je vous pro­pose de nous arrê­ter un ins­tant sur ces deux mots, avant d’en décou­vrir un troisième.

La grâce

Dans le pre­mier Testament, la grâce n’est pas encore le salut, la résur­rec­tion, l’évangile : Grâce en hébreu se dit ranan, (חנן vient de חן) et ranan, c’est ce qui brille, ce qui nous réjouit ; c’est la grâce d’une femme, ce qui est gra­cieux ; mais c’est aus­si la com­pas­sion, la misé­ri­corde. C’est, je le crois, une manière d’être dans la dou­ceur et la beau­té !D’ailleurs, l’expression « faire briller sa face sur toi » est un hébraïsme qui veut dire : sou­rire ! Oui, que Dieu nous sou­rie et qu’il fasse naître en nous le sourire !

Avec Paul, la grâce se pré­cise, c’est celle d’une parole reçue qui est « lumière sur nos routes, qui éclaire le sen­tier », comme le dit le Psalmiste… Parole qu’il a ren­con­trée, parole bou­le­ver­sante, sur le che­min de Damas, dans la per­sonne du Christ. Oui, la grâce d’une lumière offerte. Pour éclai­rer la nuit ! Comme le dit aus­si Maurice Bellet : « [Alors] la grande affaire, l’unique affaire est que le che­min ne se perde pas dans la ténèbre, que se lève, au cœur même de la nuit, la lumière irré­pres­sible que rien ne détrui­ra. »[1] Ainsi, la grâce, comme des petits cailloux de lumière qu’un divin petit Poucet aurait semés sur nos routes… La grâce, « comme la rosée qui revi­vi­fie la fleur au matin »[2]. La grâce, donc, en ce pre­mier dimanche de l’Avent ! Pour toi, pour moi, pour nous.

Et puis la paix !

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Pasteur Jean-François Breyne

Photo Christian Apothéloz 

La paix, c’est le sha­lom, et là le temps nous manque pour dire toute la richesse de ce mot qui dit non pas une absence de conflit mais la plé­ni­tude de l’être récon­ci­lié. Mais allons pour­tant un peu plus loin : nous confon­dons, en effet, sou­vent deux réa­li­tés qui se cachent der­rière la notion de paix : la paix exté­rieure, en tant que ces­sa­tion des hos­ti­li­tés, et puis la paix inté­rieure. Les deux nous sont à faire. Mais la pre­mière dépend de la seconde. Et la seconde ne dépend pas de nous. Il y a la paix que l’on reçoit, et puis celle que l’on bâtit.

La paix exté­rieure, la paix au sens grec (à construire), est donc l’opposé de la tran­quilli­té, de la quié­tude. Elle est un risque, un pari, c’est la paix des Béatitudes ; elle implique un renon­ce­ment, et une véri­table lutte pour refu­ser le cercle infer­nal de la vio­lence. Elle est le pre­mier pas de la construc­tion d’une fra­ter­ni­té uni­ver­selle. Les grands apôtres de cette paix-là, de Jésus lui-même à Martin Luther King, en pas­sant par Gandhi ou Bonhoeffer, l’ont payé de leur propre sang.

La paix intérieure, elle, relève de la grâce.

La paix est le fruit de la grâce. Elle est le don du sou­rire de Dieu entre­vu l’espace d’un ins­tant éternel.

Shalom vient de sha­lam : en hébreu (שלום), ce qui est ache­vé, ter­mi­né, accom­pli. C’est aus­si ce qui est acquit­té, ren­du, payé. Et cette paix-là, j’insiste, ne dépend pas de nous, de nos efforts ou de nos renon­ce­ments. Elle se reçoit de Dieu. Mais si elle se reçoit, si elle est cadeau de Dieu,

pour­tant elle doit aus­si se culti­ver. En fran­çais, paix vient de la racine indo-européenne : PAG, le pieu, ce qui s’enfonce, à par­tir duquel le mot pay­san est construit : c’est la même racine.

La paix intérieure est aussi une lutte, un combat spirituel.

Pomeyrol Nov 2021

Oui, la paix, ça se cultive. Ça ne vient pas de soi. Ça se reçoit, mais ça se bêche, ça se sarcle, ça s’arrose, ça se taille. Et c’est aus­si le tra­vail de l’Église, et c’est le tra­vail de chaque homme, de chaque femme, pour res­ter dans la béné­dic­tion ! Cette paix est un don qui nous vient de Dieu. À nous de la vivre et de la faire vivre, en nous et entre nous. C’est le tra­vail de la prière. Un tra­vail dis-je, car la paix inté­rieure est, para­doxa­le­ment, aus­si une lutte, un com­bat, mais un com­bat spirituel.

La paix est offerte, pro­mise, comme un hori­zon pos­sible, une terre pro­mise. Elle est le don de la grâce. Mais elle implique le com­bat de la vigi­lance et de la per­sé­vé­rance. Et Paul de pour­suivre : « Nous nous sou­ve­nons de tout ce qui vous carac­té­rise : l’œuvre de la foi, le tra­vail de l’a­mour et la per­sé­vé­rance de l’es­pé­rance de notre Seigneur Jésus-Christ, devant notre Dieu et Père. » Et voi­là le troi­sième mot qui résonne pour nous ce soir :

La persévérance de l’espérance ou dans l’espérance

Un mot-clef : non pas tant “espé­rance”, ça, c’est le fruit de la grâce et de la paix, et donc, c’est “cadeau”, mais le petit mot de per­sé­vé­rance, lui, dépend de nous ! Car voi­là notre tâche, notre pre­mière tâche, la plus indis­pen­sable peut-être : la per­sé­vé­rance. C’est-à-dire demeu­rer enra­ci­né dans ce don de la grâce, et sans se las­ser, jamais, se lais­ser labou­rer par ce cadeau de Dieu qu’est l’espérance.

Persévérer

Le pas­teur et théo­lo­gien Dietrich Bonhoeffer écri­vait, depuis sa cel­lule, empri­son­né par le pou­voir nazi : « Là où d’autres se résignent, [il] (le chré­tien) a la force de gar­der la tête haute lorsque tout semble s’écrouler, de sup­por­ter les revers, de ne pas aban­don­ner l’avenir à l’adversaire mais de le reven­di­quer pour soi.[3] »

« Ne pas aban­don­ner l’avenir à l’adversaire mais le reven­di­quer pour soi »

Dietrich Bonhoeffer

Voilà la per­sé­vé­rance ; voi­là notre unique tâche ; et plus le monde sera sombre, et plus la ténèbre sem­ble­ra à nou­veau triom­pher, et plus nous devrons per­sé­vé­rer dans ce cadeau de la grâce et de la paix qui a pour nom espé­rance. Attention, ici un piège nous guette : l’espérance n’est pas un mot à pen­ser, ni à conju­guer au futur, mais au pré­sent ! Car le cadeau est déjà offert, nous en sommes déjà, ici et main­te­nant, les dépo­si­taires. Ce cadeau n’est pas pour demain, mais à vivre et à faire vivre dès aujourd’hui, avec persévérance !

Mais comment faire cela ? Comment vivre cela ?

Paul, nous le dit, che­min fai­sant : en accueillant la parole ! En nous met­tant, tou­jours à nou­veau, à l’écoute de cette parole. Encore et tou­jours, en res­tant enra­ci­né dans cette parole qui résonne et nous façonne, qui nous fonde et nous féconde. Ma sœur, mon frère, laisse-la, cette parole de vie, faire en toi son œuvre, laisse le souffle de Dieu labou­rer tes fra­gi­li­tés et tes souf­frances, tes doutes et tes errances. Laisse-lui juste un peu de place, prête-lui juste un peu l’oreille de ton cœur. Et tu verras…

Et cette parole qui a reten­ti il y a deux mille ans reten­tit tou­jours à nou­veau, ici et main­te­nant, pour toi, pour moi, pour nous ! Et cela vient trans­for­mer mon regard sur le monde. Apaiser les peurs, cal­mer les ran­cœurs et les aigreurs, et nous retour­ner vers la vie et vers les autres, vers les autres qui sont la vie. Avec per­sé­vé­rance. L’Évangile de Luc met ces mots dans la bouche de l’Homme de Nazareth :

Pomeyrol Nov 2021 Pasteur Jean François Breyne

Jean-François Breyne

, Persévérez ! : 
  • 17 Vous serez détes­tés à cause de mon nom.
  • 18 Mais pas un seul che­veu de votre tête ne sera perdu ;
  • 19 par votre per­sé­vé­rance, vous vivrez ! (Luc 21, 19)

Littéralement, le grec donne : par votre per­sé­vé­rance, vous gagne­rez, vous pos­sé­de­rez, vous aurez la vie. Vivre, c’est quoi, pour Luc ? Persévérer dans le don de la grâce. Ni plus, ni moins. Tu crois que tu n’en es pas capable ? Mais per­sonne ne l’est, par lui-même. Mais enra­ci­né dans la Parole, alors la lumière peut venir faire brèche jusque dans l’opacité la plus pro­fonde, et tout est trans­fi­gu­ré. Maurice Bellet encore, pour finir : « Si Dieu est, il est en l’homme ce point de lumière qui pré­cède toute rai­son et toute folie et que rien n’a puis­sance de détruire. Peut-être alors que croire en Dieu consiste en ceci : croire qu’en tout être humain existe ce point de lumière[4] » et que rien n’a puis­sance de détruire.

Y eut-il jamais meilleure nouvelle ?

Pasteur Jean-François Breyne


[1] Maurice Bellet, in Dieu, per­sonne de l’a jamais vu, 2008, Albin Michel, p. 72.

[2] Teilhard de Chardin, In Le matin vient, édi­tion Oberlin, p. 95

[3] Dietrich Bonhoeffer, in Si je n’ai pas l’amour, p. 276.

[4] Maurice Bellet, in Dieu, per­sonne de l’a jamais vu, 2008, Albin Michel, p. 95.

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