Elian Cuvillier : « Dieu ne nous fait pas confiance, il a mis sa confiance en nous… »

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Elian Cuvillier Chartreuse de Valbonne Laurence Guillon Pasteur

Le 18 août 2021 le théologien Elian Cuvillier a présenté à Pomeyrol, une méditation sur le texte du jour, la Lettre de Paul aux Éphésiens.

Lettre aux Éphésiens 2 : versets 8 à 10 : « 8 C’est par grâce, en effet, que vous êtes sauvés, par la foi ; vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu. 9 Cela ne vient pas des œuvres, afin que nul n’en tire fierté. 10 Car nous sommes son ouvrage ; nous avons été créés en Jésus Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance afin que nous nous y marchions. » (Traduction d’Élian Cuvillier)

L’épître aux Éphésiens est un texte dense, dif­fi­cile, magni­fique à maints égards, satu­ré d’un voca­bu­laire théo­lo­gique qui nour­rit, depuis 2000 ans, pour le meilleur — mais aus­si il faut le dire par­fois pour le pire — la spi­ri­tua­li­té chrétienne.

Et notre texte n’échappe pas à ce constat. Dense, riche, magni­fique il l’est. Mais, pour cer­tains, il relève d’un « patois de Canaan » que seuls les ini­tiés com­prennent… ou croient com­prendre ! Un voca­bu­laire qui peut aus­si abri­ter les pesants symp­tômes d’une vie pri­son­nière de « fautes », de « péchés », de « dési­rs de la chair », « d’enfants de la colère » dont nous savons com­bien ils ont fonc­tion­né — et fonc­tionnent encore — comme repous­soir dans le chris­tia­nisme. Et les autres signi­fiants de ce texte, tel « ce grand amour dont Dieu nous a aimés », ne sont pas tou­jours en capa­ci­té de com­pen­ser les dégâts pro­vo­qués par les premiers.

Alors il faut tou­jours à nou­veau se remettre à l’exigeant labeur d’une écoute atten­tive pour essayer d’entendre les richesses insoup­çon­nées de ce vieux texte. Aujourd’hui, je vou­drais relire les seuls ver­sets 8 à 10, les plus connus sans doute, qui résonnent tout par­ti­cu­liè­re­ment à nos oreilles pro­tes­tantes. Les relire au plus près parce qu’ils s’articulent les uns aux autres pour des­si­ner l’image d’une exis­tence croyante par­ti­cu­lière. Pour cela, je relève dans cha­cun d’eux, trois mots ou expres­sions qui me paraissent extrê­me­ment significatives.

Le ver­set 8 d’abord : « C’est par grâce, en effet, que vous êtes sau­vés, par la foi ; vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu »

Ici je retiens « grâce », « foi » et « don »

Et je note tout d’abord que ces trois mots sont reliés à Dieu, donc sur un axe que je dirai ver­ti­cal pour ne pas dire transcendant.

La grâce est lit­té­ra­le­ment ce qui réjouit. Ce qui est recon­nais­sance. On l’associe par­fois à la gra­tui­té, quoique l’étymologie en grec soit dif­fé­rente, La grâce gra­tuite ? Trop vite dit. Car, la grâce coûte (Dixit Bonhoeffer). Elle coûte à celui qui donne. C’est-à-dire à Dieu. Et ce prix c’est l’incarnation, par quoi Dieu perd sa divi­ni­té et se donne à l’humanité. Une grâce qui est alors, venant de Dieu, en excès. Venant de Dieu la grâce est là sans autre rai­son que la joie de don­ner. Que le don. La grâce est ce qui est par don de Dieu. Elle est aus­si par­don. Par don, Dieu vient vivre notre condition.

Elian Cuvillié Pomeyrol Janvier 2019
Elina Cuvillier à Pomeyrol

Grâce et don qui viennent de Dieu… tout comme la foi, la pis­tis en grec, c’est-à-dire la fidé­li­té ou la confiance. Elle n’est pas un « sen­ti­ment », une « capa­ci­té » que l’on a ou pas, une qua­li­té que l’on a ou pas. Elle est la confiance que Dieu dépose en l’homme. Tout comme la grâce, elle est par don. La confiance que Dieu dépose en nous est par don. Je le dis sou­vent : Dieu ne nous fait pas confiance, il a mis sa confiance en nous… et ça change tout ! Il s’agit de s’en sai­sir, de s’appuyer sur elle.

Voilà l’axe ver­ti­cal de notre exis­tence, il est pre­mier, fon­da­men­tal. Il est béné­dic­tion pre­mière posée à même nos exis­tences. Dès notre nais­sance. Car cet axe, celui de la grâce et de la confiance, par don, s’il est ver­ti­cal, n’est cepen­dant pas éloi­gné de nous. Il vient nour­rir et vivi­fier nos exis­tences. Il les rend pos­sible. Il les par­donne dès le com­men­ce­ment ! Ce n’est donc pas « de nous » que cela vient conclut le ver­set 8, inau­gu­rant ain­si, sur l’axe hori­zon­tal de nos vies, les trois néga­tions que je vous lis main­te­nant : « vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas des œuvres, afin que nul n’en tire fierté ».

Pas de nous, pas des œuvres, pas de quoi se glo­ri­fier c’est-à-dire rien de solide venant de nous sur quoi s’appuyer, se fon­der. Théoriquement, cela, nous le savons bien, nous pro­tes­tants : pas de salut par les œuvres, mais bien par la foi ! Mais pra­ti­que­ment, com­bien sou­vent la foi est per­çue (à notre insu… où à l’insu de notre plein gré) comme une « œuvre » : il faut croire, il faut se conver­tir pour être sauvé.

Ce n’est plus par don… c’est du donnant/donnant. On mar­chande avec Dieu !

Et puis encore, com­bien sou­vent nous nous « glo­ri­fions » avec modes­tie… de nos œuvres, nous appuyant sur notre « faire » ou celui de notre tra­di­tion, de nos héros… Et puis enfin, com­bien sou­vent notre « réponse » à la grâce de Dieu devient condi­tion du salut, oubliant ce que le bap­tême nous redit pour­tant : nous aimons Dieu parce qu’il nous a aimés le premier !

Alors oui, il est néces­saire ici de rap­pe­ler que ce que nous sommes en capa­ci­té d’apporter, de reven­di­quer de nous-mêmes, nos qua­li­tés, nos œuvres (qui sont par­fois belles !) ne font pas de dif­fé­rence devant Dieu par rap­port à la plus modeste des créa­tures, la per­sonne la plus dému­nie (maté­riel­le­ment, phy­si­que­ment, intel­lec­tuel­le­ment, mora­le­ment). Même mieux : nous ne sommes pas dif­fé­rents d’elles… sim­ple­ment nous réus­sis­sons mieux qu’elle à mas­quer nos fra­gi­li­tés et nos failles.

Mais alors quid de ce que nous fai­sons ? Quelle place aux œuvres dans la vie croyante ? Et quelles sont les « œuvres chré­tiennes » à « faire » ? Faisons donc un pas de plus et lisons le ver­set 10 qui arti­cule cette fois l’axe ver­ti­cal (grâce, confiance « par don ») et l’axe hori­zon­tal de nos exis­tences (pas de nous, pas des œuvres, pas de glo­ri­fi­ca­tion) : « Car nous sommes son ouvrage ; nous avons été créés en Jésus Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a pré­pa­rées d’avance afin que nous nous y marchions. »

Je retiens ici à nou­veau trois termes :

  • Ouvrage
  • Œuvres bonnes
  • Préparées d’avance pour que nous y marchions

Nous sommes son « ouvrage » en grec poiê­ma, c’est-à-dire lit­té­ra­le­ment son inven­tion, son poème. Nous sommes donc, en Christ Jésus, le poème de Dieu, l’invention de Dieu. Arrêtons-nous un ins­tant sur cette affir­ma­tion. Quelqu’un a dit : « le poème fait le dif­fi­cile ». C’est-à-dire il est rebelle au sens qui se donne auto­ma­ti­que­ment, comme allant de soi, facile à com­prendre. Vous en avez tous fait l’expérience en lisant de la poé­sie, de la bonne poé­sie : cela ne va pas de soi. Ce n’est pas facile à com­prendre. Le poème ne dit jamais ce qui doit être direc­te­ment enten­du et com­pris. Il résiste aux signi­fi­ca­tions bien fice­lées. Il pro­pose, ouvre des signi­fi­ca­tions mal fice­lées, pas fice­lées du tout. Il défait, libère et ouvre. Pas de poème sans acci­dent, sans blessures.

Belle image de l’existence humaine recrée en Christ : nous sommes une inven­tion de Dieu mal fice­lée, pas fice­lée du tout d’ailleurs. Mais libé­rée, à par­tir de nos bles­sures, pour ouvrir à des­ti­na­tion des autres, la pos­si­bi­li­té de lire l’amour, la grâce, la confiance le don de Dieu et son pardon.

Voilà les « œuvres bonnes », mais aus­si en grec, utiles, pro­pices, favo­rables ! Non pas les bonnes œuvres pieuses. Relisez l’épître de Jacques : quelles sont ses œuvres qui com­plètent la foi ? Celles d’Abraham, l’infanticide et de Rahab cou­pable de haute tra­hi­son (cf. Jc 2,16–24). De « bonnes œuvres » ? Du point de vue moral, non. Mais des œuvres utiles, pro­pices, favo­rables, oui : pour les géné­ra­tions à venir de croyants. Voilà des œuvres mal fice­lées ou pas fice­lées du tout ! Qui émanent du poème de Dieu, de l’ouvrage que nous sommes.

Œuvres pas for­cé­ment bonnes aux yeux des autres, « pré­pa­rées d’avance pour que nous y mar­chions » non pas comme on pro­gramme un logi­ciel, un robot. Plutôt comme un poème à lire et à décou­vrir. Nos vies sont là pour déplier les œuvres pro­pices à faire éclore la vie. Elles ne sont pas nôtres mais sont offertes au fur et à mesure que se déploie le poème de notre exis­tence : oppor­tu­ni­tés à sai­sir… ou pas, cadeaux offerts à ouvrir… ou pas, sans savoir à l’avance ce qui va adve­nir (tout comme Abraham et Rahab ne savaient pas ce qui allait arriver).

Oui, pour que nous sai­sis­sions ces œuvres ou plus exac­te­ment que nous nous lais­sions sai­sir par elles et qu’elles viennent elles-mêmes lire et décou­vrir le poème, l’invention de notre exis­tence croyante. C’est cela la foi/confiance : lais­ser œuvrer en nous l’agir de Dieu. Laisser nos vies être le poème, l’invention de Dieu en Christ Jésus.

« C’est par grâce que vous êtes sau­vés, par confiance. C’est par don de Dieu Ce n’est pas de vous. Ce n’est pas des œuvres. Afin que nul ne se trouve des motifs d’assurance. Car nous sommes un poème crée en Christ Jésus pour des œuvres pro­pices que Dieu a pré­pa­ré d’avance afin que nous mar­chions en elles » Amen

Elian Cuvillier

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