Une dernière remarque. Au moment où Jésus meurt, le centurion romain dit : “Vraiment, cet homme était le fils de Dieu”. Il dit cela alors qu’il n’y a devant lui qu’un homme qui meurt comme le dernier des parias. Il dit que cet homme sans aucune qualité est le fils de Dieu. C’est ainsi que Jésus est mort, mais c’est pour nous dire, à nous, parfois quand nous ne pouvons plus le croire, que c’est pour nous qu’il a traversé cette épreuve. Non pas comme une voix culpabilisante qui nous dirait : avec ce que j’ai fait pour toi. Mais comme une caresse apaisante sur une chair tant de fois meurtrie : je suis ta Pâque. Cette traversée de la sombrevallée, je l’ai subie. Et les dieux, tous les dieux qui réclament quelque chose de toi, je les ai crucifiés là. Ils ne peuvent plus rien te demander. Et puis, si tu cherches Dieu, celui que j’appelle mon Père. Il est là. À mes côtés. À tes côtés. Là où personne n’irait le chercher. Il se laisse trouver.
Souvent, le rejet par nos contemporains de l’idée d’une mort de Jésus pour nous s’exprime comme le refus d’une image perverse de Dieu, celle du Dieu qu’il faudrait apaiser par un sacrifice. Derrière ce refus justifié, se cache pourtant peut-être aussi la volonté de maîtriser sa vie, de ne pas laremettre entre les mains d’un autre. Or l’Évangile affirme que quelque chose de fondamental : notre existence ne trouve son salut que dans l’abandon total, dans un refus de maîtriser jusqu’au bout notre vie Celle-ci n’est sauvée que rachetée par le Christ. C’est-à-dire délivrée des puissances de marchandage qui nous tiennent prisonniers. Oui, Christ a racheté nos vies. Non pas à Dieu, à son Dieu, mais aux dieux de ce monde qui nous tenaient prisonniers. Il les a rachetées en ne se laissant pas asservir par cette logique qui nous tient dans ses liens. En brisant ces chaînes et en nous montrant le chemin d’une liberté reçue, d’une vie offerte comme un cadeau qui ne nous obligerait à aucune dette. Oui, cela, il l’a fait pour nous. Ce cadeau, on peut l’appeler un sacrifice. Mais alors ce n’est pas un sacrifice à Dieu, c’est le sacrifice même de Dieu qui a accepté de briser sa propre image pour se révéler, en son Fils, sous un autre visage. Celui d’un Père plein de tendresse et de son Fils qui s’est fait notre frère.
Elian Cuvillier, théologien