Seule une indigence crée une vraie richesse. C’est dans la vacuité où le laisse, brusquement, son enfance morte, que l’adolescent éprouve avec avidité l’immensité de la vie. C’est la solitude soudaine qui lui vaut la grâce de l’amour.
Ne connaîtra jamais l’amour celui qui n’a pas eu le délaissement
Soeur Antoinette
Ne connaîtra jamais l’amour celui qui n’a pas eu le délaissement ; ni la consolation celui qui n’a pas pleuré ; ni le rassasiement celui qui ne connaît point la faim.
La pauvreté n’est pas une vertu ; c’est un état. Un état économique, spirituel, intellectuel. Lorsqu’on l’a découvert, on voudrait le publier partout et appeler les gens à y venir. C’est un retour à l’essentiel. Par là même c’est une libération de tout encombrement. Une libre disposition, une vacuité béante sur la vie et prête à la recevoir toute, une décrispation de l’être, un loisir, une attente sans angoisse, une continuelle espérance. C’est le contraire de la misère aux affreux tourments, aux horizons murés. Ce n’est pas une vertu, c’est un talisman.
Et comment s’approcher de Dieu et des grands mystères de la foi, sans théologie stérile, ni littérature, à moins d’être en état de pauvreté ? On peut avoir suivi les grands esprits dans leur avidité à tout expliquer, à tout définir, tout comprendre, mais il faut avoir dépouillé l’orgueil d’expliquer et de comprendre…
Notre génération a dû faire ces dépouillements
En vérité, si notre génération apporte quelque chose au monde, ce sera l’esprit de pauvreté.
Elle n’aura pas la joie d’agir, d’une action qui sauve, un monde usé.
Elle n’aura pas la joie de construire un monde nouveau. Il y faudra plus de temps, plus de cinquante ans.
Elle n’aura pas même, l’humble joie de le mettre à pied d’œuvre, du moins, elle ne le saura pas.
Mais l’obscure mission, dont elle sent déjà en elle l’impérieuse vocation, c’est de rendre à l’homme, à tous les hommes, l’esprit de pauvreté, celui qui seul dénouera la crise économique, qui seul rétablira les valeurs intellectuelles et rénovera la vie spirituelle.
Cette pauvreté sans quoi il n’est possible, ni de recommencer, ni de construire, ni de rien posséder jamais.
Antoinette Butte L’Incarnation, 1936