Les Actes des Apôtres : lectures avec Daniel Marguerat et Emmanuelle Steffec

En 2009, Daniel Marguerat et Emmanuelle Steffec ont ali­men­té de leurs recherches le par­cours biblique de Pomeyrol sur les Actes des apôtres.
Synthèse de l’en­semble de la session


Résumé des acquis de l’en­semble de ces cinq week-ends bibliques.
Lors de la pre­mière ses­sion, nous avons tout d’a­bord vu que l’Ascension était l’é­vé­ne­ment qui fai­sait char­nière entre l’Évangile et les Actes. Luc a ter­mi­né le pre­mier tome de son œuvre (l’évangile) avec l’Ascension de Jésus et com­men­cé le second tome (les Actes) avec… l’Ascension de Jésus. L’Ascension est donc un évé­ne­ment à deux faces : conclu­sion du minis­tère de Jésus et lan­ce­ment de l’activité des apôtres. La dif­fé­rence entre les deux ver­sions cor­res­pond à ces deux faces : en Luc 24, le Ressuscité quitte ses dis­ciples et les bénit ; en actes I, il les envoie en témoi­gnage jusqu’à l’extrémité de la terre. Et puis, il disparaît.

Nous avons ensuite ana­ly­sé le récit de Pentecôte (actes II,1–13), puis le dis­cours de Pierre qui sert à déco­der théo­lo­gi­que­ment cet évé­ne­ment fon­da­teur de l’Eglise. Ce jour de Pentecôte, un noyau ini­tial consti­tué par les douze apôtres, avec peut-être quelques femmes dont Marie la mère de Jésus (1,14), reçoit l’Esprit qui fait com­mu­ni­quer. On iden­ti­fie là un stig­mate de la foi selon Luc : d’emblée, la foi se dit. Sous le vent de l’Esprit, les douze apôtres parlent un lan­gage que com­prend la foule cos­mo­po­lite des pèle­rins, ras­sem­blés à l’occasion de la fête à Jérusalem ; ce lan­gage est la louange de Dieu. Luc a ain­si recueilli un sou­ve­nir gra­vé dans la mémoire des pre­miers chré­tiens : la forte acti­vi­té de l’Esprit au com­men­ce­ment de l’Eglise. Pourquoi Luc a‑t-il accor­dé une telle impor­tance à cet évé­ne­ment, somme toute mineur, qui n’a dû sou­le­ver qu’un inté­rêt pas­sa­ger dans un quar­tier de Jérusalem en l’an 30 ? Le propre de l’historien est de déce­ler la por­tée qu’ont eue les évé­ne­ments, même si les contem­po­rains n’y voient que du feu. Ici, pour notre auteur, se pré­pare en minia­ture l’universalisation du chris­tia­nisme. La parole acces­sible à tous est por­teuse du salut des­ti­né à tous. Mais sur­tout, l’historien théo­lo­gien qu’est Luc s’intéresse à mon­trer qui est der­rière l’événement. Pour le faire savoir, il place sur les lèvres de Pierre, sitôt après, un long dis­cours à l’intention des habi­tants de Jérusalem. Or, qui est le véri­table béné­fi­ciaire de ces paroles expli­ca­tives ? Le lec­teur. C’est à lui que Luc veut apprendre com­ment déco­der l’histoire. Lisant ce dis­cours aujourd’hui, nous sui­vons le pro­gramme de déco­dage mis en place par le nar­ra­teur à notre inten­tion.
Le dis­cours que tient Pierre pour éclai­rer l’histoire de la Pentecôte est assez long (2,14–39). Une pre­mière par­tie (2,15–21) inter­prète l’événement qui vient de se pro­duire à l’aide d’une cita­tion de Joël 3,1–5 : l’explosion lan­ga­gière de la Pentecôte cor­res­pond au sur­gis­se­ment de l’Esprit saint, que le pro­phète annon­çait comme un embra­se­ment pro­phé­tique du peuple à la fin des temps. Le peuple pro­phé­ti­se­ra, les vieux auront des visions, les jeunes feront des songes. Ce sur­gis­se­ment de l’Esprit s’inscrira dans une convul­sion du monde : le soleil devien­dra téné­breux, la lune san­glante, il y aura du sang et du feu… Pour Joël, ce sera la fin du monde. Pour Luc, c’est la fin d’un monde et le début d’un temps nou­veau. La révo­lu­tion qui s’accomplit là n’est rien de moins que la démo­cra­ti­sa­tion de l’Esprit saint. L’Esprit n’est plus le pri­vi­lège réser­vé à quelques ini­tiés, pro­phètes ou rois, mais la marque de tout croyant. Le ton est triom­phant, la nou­velle bou­le­ver­sante. L’Esprit, désor­mais, est offert à qui­conque croit.
Mais le dis­cours ne tourne pas comme on le pen­se­rait. La seconde par­tie (2,22–36) devrait par­ler de cet Esprit nou­vel­le­ment répan­du. Or, au lieu de foca­li­ser là-dessus, le pro­pos bifurque vers une démons­tra­tion scrip­tu­raire de la résur­rec­tion de Jésus. Pierre rap­pelle les signes accom­plis par Dieu dans l’activité de Jésus, puis enchaîne : Jésus, qui a été « livré sui­vant le plan fixé et la pres­cience de Dieu, vous l’avez atta­ché et sup­pri­mé par la main d’impies ; c’est lui que Dieu a rele­vé en le déliant des dou­leurs de la mort, par le fait qu’il n’était pas pos­sible qu’elle eût prise sur lui » (2,23–24). D’un côté l’action des hommes abat­tant le Christ, de l’autre l’agir résur­rec­tion­nel de Dieu.

Durant la 2e ses­sion, nous avons lu et tra­vaillé suc­ces­si­ve­ment les som­maires des Actes, puis le récit d’Ananias et Sapphira, et enfin, le dis­cours d’Étienne. En ce qui concerne les som­maires, on a vu que pour Luc, c’est un pro­cé­dé qui lui per­met, soit en fin d’une séquence, soit au début, de ras­sem­bler les thèmes clefs qu’il a déve­lop­pés ou qu’il va déve­lop­per. Parmi ces thèmes, il y a celui de l’u­na­ni­mi­té des croyants, la frac­tion du pain, les gué­ri­sons opé­rées par les apôtres, et la com­mu­nion des biens.
Cette com­mu­nion des biens et cette belle una­ni­mi­té, Luc montre, dans l’é­pi­sode d’Ananias et Sapphira, qu’elle peut être mise en péril, depuis l’in­té­rieur même de la com­mu­nau­té : c’est le faux-semblant auquel se livre le couple frau­du­leux qui leur vaut la ter­rible et immé­diate sanc­tion divine. Luc montre que l’Eglise peut être fra­gile, que ses membres ne sont pas tous des saints, et qu’il ne suf­fit pas de se dire membre de l’Eglise pour se croire à l’a­bri de la ten­ta­tion, de l’hy­po­cri­sie et du juge­ment de Dieu.

Quant au dis­cours d’Étienne, en actes VII, il est une pièce maî­tresse dans l’in­trigue du livre des Actes, car il fait char­nière avec ce qu’on a appe­lé « l’âge d’or » de la pre­mière com­mu­nau­té croyante, où tout se passe à Jérusalem, et les pre­mières per­cées hors d’Israël. Le dis­cours d’Étienne pré­pare minu­tieu­se­ment cette mise en orbite du chris­tia­nisme, en mon­trant que tout, dans l’his­toire d’Israël, l’y pré­pa­rait : dans une longue, et par­fois vio­lente cri­tique de l’his­toire des pères, Luc, par la bouche d’Étienne, montre que, pre­miè­re­ment, l’al­liance et le salut ne sont pas tri­bu­taires de la zone géo­gra­phique pales­ti­nienne, et que, secon­de­ment, la pré­sence de Dieu ne peut se confi­ner au seul espace du Temple. Ce fai­sant, il légi­time par avance la per­cée en direc­tion de la Samarie qui fait suite à sa mise à mort et à la dis­per­sion des disciples.

La troi­sième ses­sion a été dans un pre­mier temps consa­crée au récit de la conver­sion de Paul. On a pu consta­ter l’im­por­tance que Luc confère à cet évé­ne­ment, au point de le racon­ter trois fois, tout en pre­nant soin de varier les points de vue, en fonc­tion des audi­toires aux­quels s’a­dresse Paul, en fonc­tion aus­si de l’a­van­ce­ment de l’in­trigue glo­bale des Actes. Si le noyau dur demeure immuable (le dia­logue avec le res­sus­ci­té), la trame géné­rale aus­si, les acteurs changent, deviennent plus ou moins impor­tants, le lieu de l’ap­pa­ri­tion change aus­si. Est-ce à dire que Luc a tout inven­té ? Sûrement pas, car le choc qui a sai­si Paul sur le che­min de Damas, l’a­pôtre l’é­voque lui-même, et les pre­miers chré­tiens devaient aus­si bien le connaître. Simplement, ce noyau dur de cette ren­contre, Luc l’a enro­bé selon son point de vue, car il repré­sente pour lui l’é­vé­ne­ment par excel­lence qui a conduit Paul à être ce qu’il est deve­nu. Il veut aus­si mon­trer par là que la des­ti­née des chré­tiens est par­fois sem­blable à celle de celui qui, de per­sé­cu­teur, devient per­sé­cu­té pour la gloire et l’ex­pan­sion de la Parole jus­qu’aux extré­mi­tés de la terre.

Le deuxième temps s’est atta­ché à un autre texte monu­men­tal des Actes, un autre tour­nant dans l’ir­ré­pres­sible avan­cée de l’Évangile : le récit de la ren­contre entre Pierre et Corneille, le récit de l’ad­mis­sion sans condi­tion du pre­mier non juif dans la com­mu­nau­té chré­tienne. On a vu com­ment Pierre doit être puis­sam­ment moti­vé par toute une série d’in­ter­ven­tions extra-ordinaires à vaincre ses réti­cences de bon juif, pour fina­le­ment accep­ter l’i­nouï : un non juif peut rece­voir l’Esprit et le salut. Non seule­ment ça, mais, comme il le com­prend aus­si par paliers que le pas­sage par le judaïsme et l’ob­ser­vance de ses règles, notam­ment ali­men­taires, n’est ni requis, ni même sou­hai­té. « En véri­té, je me rends compte que Dieu ne regarde pas à l’ap­pa­rence, mais qu’en toute nation, qui le craint et pra­tique la jus­tice lui est agréable ».

Durant la 4e ses­sion, nous nous sommes arrê­tés sur trois grands dis­cours de Paul : actes XIII, son pre­mier dis­cours à la Synagogue d’Antioche de Pisidie ; actes XVII, à Athènes sur l’Aréopage devant les phi­lo­sophes grecs, et enfin actes XXVIII, au terme du livre des Actes, lorsque, empri­son­né à Rome, il reçoit la délé­ga­tion juive de Rome et essaie une ultime fois de les convaincre. Nous avons vu avec quelle maes­tria Luc sait façon­ner les dis­cours de Paul en fonc­tion de son audi­toire, et com­ment il arrive à mon­trer la manière dont Paul s’y prend, en uti­li­sant les règles de la rhé­to­rique, pour ame­ner ses audi­teurs à par­ta­ger son point de vue, avec plus ou moins de suc­cès d’ailleurs.

Durant le der­nier week-end, nous avons vu que l’im­plan­ta­tion du chris­tia­nisme dans le monde gréco-romain ne se passe pas sans quelques accro­chages avec les pra­tiques, notam­ment magiques, des autres reli­gions du monde gréco-romain. J’ai notam­ment essayé de vous mon­trer com­ment Luc ten­tait d’é­ta­blir la dif­fé­rence entre les pra­tiques thé­ra­peu­tiques des apôtres et celles des magi­ciens, pro­phètes, exor­cistes et autres gué­ris­seurs qui fleu­ris­saient à cette époque. J’ai essayé de vous mon­ter que Luc agis­sait sub­ti­le­ment, comme s’il vou­lait de prendre ces pra­tiques de front, mais qu’en maniant l’i­ro­nie et l’hu­mour, il les déva­lo­ri­sait pour mon­trer la supé­rio­ri­té et la dif­fé­rence de l’é­van­gile.
Pour Luc, la dif­fé­rence essen­tielle tien en un mot : l’argent. Alors qu’il insiste à chaque fois sur l’as­pect mer­can­tile des pra­tiques occultes cou­rantes dans le monde gréco-romain, jamais au grand jamais, il ne fera le moindre lien entre l’Évangile et l’argent, bien au contraire : il s’ef­force bien au contraire de prou­ver l’in­verse. L’Évangile, et tout ce qui va avec : la gué­ri­son, qu’elle soit phy­sique ou morale, est un don gra­tuit de Dieu. Pas besoin d’a­che­ter Dieu pour se pro­cu­rer bonne san­té morale ou phy­sique. Dieu ne s’a­chète pas, il se reçoit et se donne.


• Emmanuelle Steffek, Chercheuse du Fond National Suisse Université de Lausanne

• Daniel Marguerat, né en 1943, est pro­fes­seur de Nouveau Testament à l’u­ni­ver­si­té de Lausanne de 1984 à 2008, ancien doyen de la facul­té de théo­lo­gie dans cette uni­ver­si­té, et ancien pré­sident de la Fédération des Facultés de théo­lo­gie Genève-Lausanne-Neuchâtel.
Son tra­vail porte notam­ment sur la ques­tion du Jésus de l’his­toire et la construc­tion de la théo­lo­gie pau­li­nienne. Il a éga­le­ment beau­coup tra­vaillé à la décou­verte de la nar­ra­to­lo­gie biblique en milieu fran­co­phone.
Spécialiste recon­nu des ori­gines du chris­tia­nisme et du livre des Actes des apôtres, il a publié de nom­breux livres et articles sur ces sujets.
Il a publié en 2007 un com­men­taire sur les Actes des Apôtres pour la mai­son d’é­di­tion Labor et Fides, dans la col­lec­tion Commentaires du Nouveau Testament.
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