Ce cimetière de Saint Étienne du Grès, elle y avait entraîné près d’une trentaine de fois, une cohorte de pèlerins de Pomeyrol, le jour de Pâques pour annoncer la résurrection. C’est une tradition. Ce jour-là, l’assemblée attend en haut de la colline, avec des chants, le lever du soleil, puis se rend dans le cimetière mitoyen pour annoncer la vie sur les tombes. Le 4 mars dernier, c’est pour elle, Sœur Danielle que ses amis, la communauté, sa famille, ses sœurs se sont assemblés pour un dernier adieu et pour annoncer sa vie au ciel.
Sœur Danielle, prieure de 1992 à 2019, a impressionné par son accueil, son écoute, l’enracinement de ses convictions et son accent occitan, tous ceux qui sont venus passer une retraite, fêter Noël ou Pâques, étudier lors d’un stage biblique, vivre simplement un culte, dans ce petit village des Alpilles. Pour elle, la foi, n’était pas une question et encore moins une réponse, c’était une respiration et une quête.
Danielle Clergue est née dans une famille protestante à Pignan, à douze kilomètres de Montpellier, elle a perdu son père à l’âge de huit ans et devint alors un pilier de la famille pour sa mère et ses deux sœurs cadettes. Elle s’engage dans le scoutisme et fut nommée naturellement cheftaine, d’abord au centre Hérault, puis à la Gerbe à Montpellier. Après le bac, elle s’oriente vers la licence d’espagnol, fait khâgne et hypokhâgne et vit sa vie : elle voyage, s’habille à la mode, elle est amoureuse, « comme une jeune fille du siècle », raconte sa sœur Simone.
C’est lors d’un stage au Château de Pomeyrol qui est alors une maison d’accueil[1] pour enfants, qu’elle rencontre sœur Antoinette Butte, fondatrice de la Communauté de Pomeyrol. C’est là, qu’elle perçoit un appel à vivre en communauté, comme sentinelle de prière. Elle poursuit ses études à la faculté de théologie protestante de Montpellier. Elle est passionnée par l’exégèse, elle apprend l’hébreu et surtout le grec. « C’était une helléniste exigeante », note le professeur de théologie Élian Cuvillié.
Elle était partisane d’un protestantisme ouvert, « pas le petit protestantisme »
Simone Clergue
En 1992, les sœurs la chargent de devenir prieure de la Communauté. Elle fut une gardienne fidèle et scrupuleuse de l’héritage de sœur Antoinette, du rituel pour ramasser les cuillères à la fin du repas jusqu’à l’improbable liturgie répartie dans quatre ou cinq livrets. Mais elle était partisane d’un protestantisme ouvert, « pas le petit protestantisme », dit sa sœur. Elle accueillait aussi bien les gens simples, ceux dont personne ne veut, même dans les paroisses, que le Président de la fédération protestante. Elle développa des liens fructueux avec les grands théologiens du temps qui vinrent volontiers partager une retraite de Pâques, de Pentecôte, de Noël ou participer aux formations des week-ends bibliques et théologiques. Si ses convictions personnelles étaient bien ancrées, elle était toujours curieuse de tout, ouverte aux réflexions et aux analyses les plus diverses . Daniel Marguerat et François Gounelle, François Vouga et Corina Combet-Galland parmi d’autres ont fait le voyage aux Alpilles, partageant les prières comme la vaisselle.
Avec Dany Noquet ou Antoine Nouis, elle aimait à trouver derrière des versets vus et revus, un sens nouveau que l’interprétation littérale, textuelle ou historique révélait, elle le faisait avec gourmandise, toujours en recherche d’un message biblique à découvrir.
« Une confidente, une boussole, une mère spirituelle » .
Élian Cuvillié
Elle fut celle à qui l’on pouvait parler et tout dire, celle qui avait une incroyable empathie et une compréhension des situations familiales ou de couple, des souffrances et des conflits. C’était dit Élian Cuvillié « une confidente, une boussole, une mère spirituelle » . « Elle m’a renouvelé, déclare Sœur Bénédicte des diaconesses de Reuilly, elle était inventive, pleine d’humour et d’énergie ». « Elle avait un esprit de pardon et de réconciliation, nous parlions de pasteur à pasteur », note le père Jean Gueït, prêtre orthodoxe.
Traquée par la maladie, percluse de douleurs, ces dernières années, elle tint bon. « Elle était habitée d’une force de vie qui venait d’un Autre », affirme la doyenne de Pomeyrol, Sœur Dolorès. Elle organisa sa succession avec l’élection de sœur Marthe Élisabeth, consciente que les communautés devaient chercher une nouvelle voie et que c’était à d’autres d’inventer ce chemin. Elle voulait malgré tout passer le cap des 80 ans, qu’elle a pu fêter joyeusement. Elle n’y a survécu que de quelques jours.
Article rédigé pour Réforme en mars 2022
Christian Apothéloz
[1] Le Château est devenu la MECS, Maison Maisons d’enfants à caractère social « Rayon de soleil ».